Impressions sur :

MacBeth mis en scène par L. Pelly au Théâtre des Amandiers

Toute représentation est un crime

En tant que nouvelle présentation (re-présentation) d'un texte théâtral - ou autre, l'originalité de toute mise en scène tient dans cet espace de liberté, dont les frontières sont floues, entre la lettre du texte et son interprétation.

Dans cette perspective, la récente mise en scène du MacBeth de Shakespeare par Laurent Pelly au Théâtre des Amandiers de Nanterre est criminelle.

Une scénographie labyrinthique terriblement adéquate à cette figure bestiale de minotaure que se révèle être MacBeth au fil de la pièce. Ce labyrinthe est aussi la métaphore de son âme tortueuse écartelée entre devoir et mal, entre culpabilité et horreur.
Strictement graphique et géométrique, le choix du style des décors reprend les codes de notre époque.
Malgré sa longueur, le rythme de la pièce est millimétré, chirurgical : les scènes se succèdent comme autant de pas vers l'horreur qui se profile derrière la brume qui s'épaissit et se dissipe dans la cadence d'une une respiration haletante. On est frappé justement par l'esthétique résolument visuelle de certaines scènes conçues comme des tableaux picturaux : le temps et l'espace s'y figent dans d'écrasantes visions lugubres, morbides, gothiques et romantiques.

On pourrait en retenir 2 en guise d'exemples.
- Le premier : deux longs murs convergeants vers un fatras de bois et de rocs sous la lueur des flammes des innombrables bougies qui l'encerclent. Juchées sur ce fatras, sorties d'un tableau de Bosch ou de Goya, 3 sorcières nues à la gestuelle inhumaine de primates, coiffées de hauts chapeaux pointus. MacBeth et son comparse Banquo plaqués chacun à un mur, avalés par la perspective que produisent ces remparts figurant la fatalité inéluctable annoncée par les sorcières.

- Le second : un trône bien trop surdimensionné pour ne pas paraître évidemment grotesque. Un trône de la forme d'une simple chaise qui éclabousse le public de tout le paradoxe de la situation du roi illégitime MacBeth : il a tué pour devenir plus rapidement roi mais il peine à monter sur un trône trop haut pour lui (il y a quelque chose de Lewis Caroll - Alice au pays des merveilles - dans cette représentation). Le roi donne une réception à laquelle manque son ancien comparse Banquo dont il vient d'ordonner l'assassinat. Des ballons en nombre ont été lâchés, qui jonchent le sol. Le pas de MacBeth et de Lady MacBeth se révèle plus difficile : moins enlevé, le pied est comme contraint de frôler le sol, comme si les ballons figuraient une mélasse de sang poisseux répandu sous ce trône. Errant d'un même pas, mais claudiquant celui-là, affolant le roi poussé aux confins de la folie, le cadavre ensanglanté de Banquo hante comme une marionnette la salle de réception.

Le jeu d'acteur a été parfaitement prémédité pour produire son effet : la difficulté inhérente aux violentes contradictions qui tranchent littéralement MacBeth et Lady MacBeth en deux est très bien affrontée par chacun des comédiens. Les sorcières semblent venir d'un autre monde et la fameuse scène de la préparation maléfique autour du chaudron est une véritable antichambre infernale. Banquo est d'un réel comique, quand on sait combien il est malaisé d'inspirer le rire à tout un public.

Nous sommes encore jeunes dans le crime

Shakespeare, Macbeth

Cette mise en scène marque particulièrement par la force quasi cinématographique que peut avoir le théâtre - difficile de ne pas penser à l'esthétique de Lynch notamment. En considérant que ce parti pris puisse ne pas plaire, je m'avance à dire que le crime est presque parfait. Un crime de lèse-majesté à l'encontre de Shakespeare. Et dans cet ordre d'idées, j'ose dire avec MacBeth qu'avec AthénAthéâtre "nous sommes encore jeunes dans le crime".

Thomas Viet, Président d'AthénAthéâtre